Robert Bouchard,
Chantal Parpette
Université Lumière, Lyon 2 – Laboratoire Icar UMR 5191
In university classes, ICTs, with their specific written and iconic forms, are becoming more and more present. During the teaching event, they have to be associated with oral discourse and human behaviour.
We study the videotape of a scientific class (school for engineers), where a blackboard, an overhead projector and a video projector are used at the same time. We analyse the way the teacher associates these plurisemiotic artefacts with his multimodal performance.
L’enseignement universitaire moderne en incitant à l’usage des Tic a modifié l’activité de l’enseignant : son discours oral vient s’articuler sur un discours écrit projeté simultanément, un powerpoint, par exemple (Bouchard à paraître, Bouchard & Parpette 2009, 2010).
C’est pourquoi il nous a semblé important d’étudier les modalités de l’association des procédés plurisémiotiques (de plus en plus raffinés techniquement) liés à l’écrit et des processus multimodaux naturels propres à l’oral. Ainsi, après avoir examiné les caractéristiques de la combinaison praxéologique entre multimodalité et plurisémioticité, nous étudierons plus pratiquement la performance hic et nunc d’un enseignant, lors de trois épisodes d’un même cours de thermodynamique, enregistré à l’Insa de Lyon.
Remarquons déjà que la « scène » de l’amphithéâtre qui est mise à la disposition de cet enseignant est définie spatialement, par des artefacts scripturaux. Comme le montre le schéma ci-dessous, elle est délimitée en profondeur par un « mur de fond », à la surface duquel on trouve côte à côte un tableau noir et un écran blanc. Le premier est destiné aux inscriptions d’accompagnement du cours, le second aux projections d’écrits/inscrits préparés en amont de celui-ci. L’autre limite de la scène, du côté des étudiants, est constituée et à droite par le rétroprojecteur et à gauche par l’ordinateur fixe qui commande les projections sur l’écran.
Pour mettre en oeuvre ces artefacts, l’enseignant doit se déplacer latéralement, comme il lui est nécessaire de se déplacer en profondeur pour avoir accès au tableau noir ou à l’écran. Ces déplacements « techniques » prennent une fonction à la fois « interactionnelle », en direction du public, et discursive, chaque mouvement vers l’ordinateur indiquant le passage à une nouvelle étape du cours, exigeant une nouvelle diapositive.
Nous allons nous intéresser à deux extraits de ce cours qui vont nous permettre de faire apparaître deux constructions différentes de cette communication mixte associant ces données écrites au discours oral de l’enseignant, comme à ses déplacements et à ses gestes.
Le premier épisode montre comment un schéma général est mis en discours par l’enseignant dans un cours spécifique.
Extrait 1 : Les 3 états de l’eau
C’est la parole, soutenue par le geste, qui ici donne à l’écrit/inscrit son sens, ce terme étant à prendre dans ses deux acceptions de direction d’une part, et de signification, de l’autre.
L’enseignant commence en effet son commentaire explicatif en linéarisant de manière spécifique son contenu tabulaire. Il verbalise d’abord la « colonne » centrale du schéma, qui représente les trois états de l’eau. Après avoir cité de haut en bas les trois subdivisions de cette partie du schéma, il les commente cette fois de bas en haut en inversant l’ordre de lecture mais en accompagnant ce commentaire de gestes déictiques qui normalisent ce que ce changement d’ordre de lecture pourrait avoir de surprenant pour les étudiants. Dans cette mise en paroles l’enseignant d’autre part choisit certaines données et en abandonne d’autres. C’est ainsi qu’il ignore toutes les données relatives aux passages d’un état à l’autre « sublimation », « solidification », « évaporation » etc., pour insister sur la relation entre température et ordre/désordre (à gauche du schéma) pertinente pour son thème du jour, la thermodynamique.
Dans le second épisode, la parole de l’enseignant s’ancre sur un tout autre type de support visuel. La diapositive présentant le Modèle du gaz parfait est constituée uniquement de données écrites verbales, reproduction d’un extrait du polycopié de cours que les étudiants ont entre les mains. Nous avons donc plus directement affaire à un moment de coformulation, au sens strict (Bouchard & Parpette 2009, 2010) de combinaison synchrone de deux messages de nature et de sources différentes.
Extrait 2 : transcription du discours de l’enseignant1
alors voyons un petit peu l’aspect microscopique / et la théorie cinétique / du du gaz / alors ça nous amène / à aborder / le modèle du gaz parfait / modèle du gaz parfait / symboliquement GP / gaz parfait alors ce modèle est basé / sur les hypothèses suivantes // donc il faut se souvenir de ces hypothèses par la suite / les molécules sont assimilées à des points / à des tous petits points / de masses / donc de masses ponctuelles de volume négligeable // par rapport au volume occupé par le gaz / et / ces points / ces masses ponctuelles n’exercent pratiquement pas d’interactions entre elles / elles sont suffisamment éloignées / pour ne pas avoir d’interactions // donc on aura un désordre parfait / donc / des molécules suffisamment espacées / pour ne pas se rencontrer souvent / pour ne pas entrer en / en co / pour ne pas trop entrer en collision / les chocs entre molécules / ou contre les parois du récipient / qui contiennent ce gaz sont parfaitement élastiques / à savoir que ça se comportera comme des boules de billard / qui rebondissent sur une paroi / sans échanger d’énergie // ce qui veut dire que l’énergie cinétique des molécules va se conserver //
L’enseignant projette cet écrit sous sa forme originale, comme on le fait pour les textes dont on considère que la forme doit être respectée fidèlement, telles les citations, les définitions. Ici, il s’agit d’hypothèses de travail. Ce type de support « saturé » laisse donc a priori peu de place à un discours oral autonome. Mais la mise en paroles d’un texte projeté ne peut être une simple reproduction orale de ce qui est donné à lire au public. La verbalisation est une (re)prise en charge par l’orateur du discours écrit. Elle exige de lui – comme on le voit ici – l’introduction d’exemples, d’illustrations, de commentaires, venant compléter le texte écrit, créant une alternance entre le texte « dit », « joué » et un ensemble de gloses (en caractères standards dans la transcription).
La mise en paroles s’accompagne par ailleurs d’une gestualité particulière de l’enseignant dont le mouvement du corps et le regard passent alternativement de l’écran aux étudiants : le contact gestuel et oculaire permet de maintenir la communication avec les étudiants. La voix joue également son rôle. Par un jeu d’alternance prosodique, elle distingue nettement les moments de lecture-citation des moments de glose.
Le discours écrit de l’écran, pris en charge par la multimodalité de la communication orale en face-à-face, et combiné à ses spécificités discursives - reprises, articulations, développements, implication des locuteurs – n’est plus un simple objet textuel mais un discours assumé corporellement par l’orateur.
Évoquons enfin un dernier épisode de coformulation : la production commentée d’un graphe au tableau noir. Voix, acte, gestes et mouvements posturaux sont alors synchronisés au fil d’une même « performance », à la fois multimodale et plurisémiotique.
Les étudiants sont ainsi confrontés à des données graphiques « émergeantes », acte après acte, en même temps qu’aux paroles qui contribuent à cette émergence, énoncé après énoncé.
C’est la dimension temporelle de l’action qui alors s’impose et non plus la dimension spatiale du document comme lors de la projection d’un schéma. L’enseignant emprunte d’ailleurs pour son discours la forme du reportage. Il narre – au présent – étape par étape ce qu’il est en train de faire.
Remarquons que cette représentation graphique est alors un outil spécialisé dont la maîtrise constitue un objectif pédagogique en soi, Ces inscriptions au tableau varient donc quantitativement suivant les disciplines pour atteindre une importance maximale en mathématiques par exemple où l’enseignant peut passer une partie importante de son cours la craie à la main à réaliser graphiquement des démonstrations.
L’enseignant « moderne » dispose de technologies d’écriture qui diversifient du double point de vue, sémiotique et discursif, le spectacle qu’il propose à son public. Mais la mise en acte de cet enrichissement potentiel ne peut que se fonder sur un déploiement multimodal, voix, gestualité, regards, postures, déplacements, tel que le permet et le favorise l’espace de la « scène scripturale pédagogique », l’amphithéâtre par exemple. De même, ce renouvellement technologique ne rend pas forcément obsolètes des artefacts plus ancien, comme le tableau noir qui continue à offrir la possibilité d’une production écrite « émergeante », ponctuelle ou plus développée, synchrone avec la parole.
1 – N.B : L’espace limité de cet article ne nous permet pas de présenter parallèlement le texte de la diapositive et la transcription du discours de l’enseignant. Les éléments en gras correspondent exactement au texte de la diapositive, intégralement repris par l’enseignant. Seule la mise en page a dû être ici sacrifiée.
Bouchard, R. & Parpette, C. (2009), « Entre reformulation et coformulation, la communication scientifique avec support écrit. » In La reformulation, PU Rennes, p. 55-72.
Bouchard, R. & Parpette, C. (2010), « Plurisémioticité et multimodalité dans un cours magistral scientifique » in Rabatel, A. (éd.). Reformulations pluri-sémiotiques en situation de formation didactique et professionnelle. Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, p. 97-116.